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danielrey

 

 

 Ce soir, le vent frais nous fait du bien. Car toute la journée, le thermomètre accusait 38 degrés à l’ombre ! Je crevais de chaud, et passais des heures dans la piscine automatique, où l’on change le niveau de profondeur rien qu’en prononçant à voix haute certaines syllabes bien précises. Je jouais dans un bain de un mètre, mais l’oncle Bernard lorsqu’il nageait, réglait la profondeur au maximum. C’était alors vraiment profond, parce que lorsque je regardais assis au bord, et que je le voyais plonger au fond, il devenait tout petit.

 

 

Nous sommes installés sur ces marches descendant vers la mer. Le ciel est couvert d’étoiles aux couleurs variées, du bleu de la mer, au jaune du coucher du soleil. L’oncle Bernard s’est à moitié couché en travers d’une des larges marches de plastique aéré, et ne dit pas un mot. Par moment il racle de la gorge et crache plus loin. Je n’aime pas quand il crache en l’air comme ça. Je me sens fatigué, j’ai envie de dormir. Je lui dis :

-Allons nous en oncle Bernard, il n’y a rien à faire ici !

Je distingue ses yeux briller à la lueur des étoiles, et ses larges dents comme un morceau de chocolat blanc dans l’obscurité. Il me répond, d’une voix moqueuse mais chaleureuse :

-Tu crois qu’il n’y a rien ici. Parce que tu n’as pas de jouet entre les mains.

-Non ! Ce n’est pas ça ! Je suis fatigué.

-Fatigué ? A ton âge ? Je sais comment vous êtes, vous les gosses. Parce que moi aussi, j’étais un gosse… On le reste un peu.

Mon oncle contemple le ciel tout en parlant, je ne sais pas ce qu’il a ce soir, il a la tête ailleurs. Moi je commence à avoir des fourmis dans les pieds. Je me lève pour aller me coucher, lorsqu’il pousse un grand cri :

-Hourra !

Il dit d’une voix enthousiaste :

-Ah ! C’était Mozart !

-Qu’est-ce que tu dis oncle Bernard, qui c’est ce type Mozart ? 

 

 

 

-Un grand compositeur des temps passés ! Regarde ! Je te parlais des adultes qui restent des gosses et ça m’a fait penser à Mozart. On le représente toujours comme un enfant, parce qu’il s’est révélé un génie très tôt. Tu sais petit. Ce ciel froid troué d’étoiles, les grands de l’histoire le traversent en gerbe de feu. Pour voir les étoiles filantes il faut les appeler par leur nom ! Pense à un homme illustre, à une femme que tu aimes à la folie et la verras traverser le noir du ciel en un trait comme un laser. Hélas, seuls les disparus ont ce privilège !

-Qu’est-ce que tu chantes là oncle Bernard ? Allons nous coucher.

-Lorsque tu as dit que je chantais ; j’ai pensé aux musiques que j’aime bien avoir en tête, et fredonner à l’occasion. Ainsi j’ai pensé à ce compositeur inspiré et formidable qu’était Bob Marley, et voici, regarde petit ! Ce météore trouer le ciel, ah ! Ça y est ! Ça ne dure jamais assez ! C’était Bob Marley ! Tu as remarqué la couleur orange rappelant le coucher de soleil dans le ciel de la Jamaïque  ? Eh ! Où est tu petit ?

Moi, en trois bonds, grâce à mes chaussures à ressorts je suis déjà en haut des marches. J’aime bien quand il bricole les jouets, mais je n’ai que six ans et demi. Mon petit corps a ses limites ! Et j’ai plus important à faire que d’écouter ses histoires d’étoiles bizarres. Je veux retrouver mon lit électronique qui flotte au-dessus du sol. Et puis j’ai mon caractère. C’est ce que me disent mes parents. Même mon professeur robot, qui m’apprend à lire et parler dans toutes les langues de l’univers ; il me le dit aussi, que j’ai beaucoup de caractère. Je vais devenir plus tard, aussi fort que mon oncle. Je crois même, que je suis beaucoup plus intelligent que lui.

 

 

Vous venez de lire  : ONCLE BERNARD une des nouvelles de mon recueil  de science fiction !

 

L'HOMME MUSIQUE

 

 






Dans un tonnerre de cymbales, de tambours et de cuivres, la cinquantième symphonie de Malévich Kalim s’achève ponctuée d’un maigre applaudissement. Les gens fort peu nombreux, élégamment vêtus, certains accompagnés de gardes du corps, sortent du collège d’enseignement des arts, où avait lieu le concert. Ce n’est pas l’époque idéale, mais il faut bien continuer à se distraire. Il y a quelques rires, les voitures de luxe démarrent en partance pour la montagne. Kalomadja « la ville lumière »commence à s’endormir comme bercée  par le souvenirs de la musique. Musique est le nom de l’île magnifique dont Kalomadja est la capitale. Une limousine noir et luisante sort du garage privé du collège, et s’en va en faisant crisser ses pneus. C’est la voiture du chef d’orchestre Malévitch Kalim. En effet à l’intérieur le petit homme maigre de quatre vingt ans d’apparence quelconque s’allongeant sur la banquette de cuir noire de la limousine en buvant un jus d’ananas est bien Malévitch Kalim. Il porte des lunettes noires comme toutes les stars de World People. On croirait voir un aveugle tellement il ne se sépare jamais de ses lunettes, pourtant, il n’est pas aveugle mais sourd. Il est une célébrité dans le monde entier, mais son humilité lui fait penser qu’il n’est rien qu’un phénomène musical, une sorte d’originalité plutôt tendance. Tant que la mode dure ! Intelligent, il a toujours su que c’était un peu, grâce à son handicap qu’il avait trouvé la gloire à l’âge de douze ans. Son père musicien qui avait accumulé une certaine richesse en vivant sur l’Ile Musique, avait tout misé sur le talent de son fils.





En effet, bien qu’il n’entendait rien, le jeune garçon sentait la vibration de la musique, comme un prodigieux et subtil tambour dans sa tête. Il rencontra immédiatement un succès sur l’île comme chef d’orchestre, car il était le premier chef d’orchestre sourd au monde. Ses disques se sont vendus un peu partout, mais rien n’a pu faire partir Kalim de son île, pourquoi, nul ne le savait. Ses concerts ont toujours lieu à Musique, l’île Musique. Tout en se reposant dans sa limousine conduite avec virtuosité par Fidélio son chauffeur depuis toujours, il pense avec amertume, qu’il a dirigé probablement son dernier concert ce soir. Dernier concert, pour plusieurs raisons, la première son âge, il se trouvait épuisé, la seconde, il est assez riche pour subsister de ses rentes le reste fort court de sa vie, la troisième raison, la plus dramatique, ce sont les récents troubles politiques. Son île, cette terre couverte de montagnes, de jungles et d’immense plage, d’accès difficile est longtemps restée uniquement habitée par des pêcheurs et chasseurs de baleines, mais ces temps sont loin. Depuis, c’est l’armée d’un pays fort éloignée qui a en pris possession.


C’est en ces temps là que ses parents sont venus ici pour des raisons longues à raconter.
Or, ces derniers temps, la révolte gronde. Les autochtones n’ont jamais accepté la domination de l’île par l’armée. Surtout depuis l’assassinat d’un syndicaliste qui représentait les marins pêcheurs. Tout cela peut jeter l’île en guerre en un rien de temps, Kalim le sait mais ne peut partir. Sans l’île musique, il croit qu’il n’est plus rien. Il est persuadé que ce sont ces montagnes alentours qui l’ont aidé à écouter ce qu’il ne peut pas écouter, que c’est cette mer agitée et sauvage qui se brise sur les énormes rochers qui l’inspire et lui donne ce pouvoir extraordinaire, le pouvoir magique d’entendre la musique. Car la musique sort des vibrations de l’île. C’est l’île qui s’empare de la musique et lui offre, en un trésor vivant. Il le sait. Il croit à cette communion entre lui et l’île vivante. Et que rien ne lui fera quitter.

  

*

 

 

 

 

 

 

La limousine fonce à travers une sorte de bidonville constitué de bâtisses de tôles et de cabanes, c’est à cet endroit précis que le syndicaliste Pol Léon, a été découpé à coups de machette. Symbolisant le début de la terreur, et la fin prochaine de la classe dirigeant du colonel Mont Poitou qui exerce ses pouvoirs, non pas pour aider le peuple mais uniquement pour lui et son groupe armé composé d’amis et de collaborateurs, des espions à la solde d’un autre pays qui favorise les classes aisées sur l’île en l’échange de bakchichs. Les agresseurs du syndicaliste, avaient trouvé un moyen d’arrêter la voiture afin de l’immobiliser. Ensuite, ils ont sorti le syndicaliste et sa femme pour les molester, et arriver aux lamentables résultats que tout le monde connaît. Sa femme a reçu trois coups de machette, mais s’en est sorti après une semaine d’hôpital. Les morceaux de son infortuné mari, ont été éparpillés sur dix mètres de route. Kalim frémit, dégoûté, en pensant que le drame s’est passé il a, à peine une semaine ! Cette terre sans laquelle il n’est rien, sa terre et où il est né, elle lui glisse entre les doigts. Elle lui échappe comme sa jeunesse autrefois, et comme bientôt sa vie. Il a peur, ça y est la route traverse la forêt, il se sent plus calme, le bidonville loin derrière lui. Mais ce n’est qu’un répit, comme ce concert merveilleux qu’il a donné.


Déjà, la forêt est traversée, la limousine commence la route montagneuse avec ses nombreux virages au bord du précipice. La mer est visible le jour, la nuit il n’y a que cette immensité noire où le ciel se mélange à l’horizon. Trois étoiles sont particulièrement lumineuses, l’une d’elle n’est pas une étoile, c’est la planète Jupiter, Kalim l’observe de temps à autre de son balcon avec son télescope. Il sent cette sérénité revenir en lui. Oui c’était son dernier concert, c’est devenu trop dangereux en ce moment, et puis à son âge, cela suffit, il n’a plus rien à prouver. La voiture stoppe à un tournant devant une sorte de haie constituée d’arbres alignés. Là, le chauffeur appuie sur le bouton de la commande d’un portail astucieusement caché dans les arbres, et où la voiture s’engage, au bout de quatre cent mètres de forêt rabougrie elle s’arrête sur une sorte de petit parking naturel.



Les deux hommes sortent. Kalim a mal aux genoux, Fidélio, l’aide en le tenant sous le bras. Ils prennent l’ascenseur et Kalim rejoint son confortable appartement. Il s’allonge, pensant à ce drame avec le syndicaliste, et se demande s’il est en sécurité chez lui. Rien n’a été prévu pour interdire l’accès au portail. Bien sur l’entrée est cachée et il y a dix caméras qui surveillent l’accès et l’entrée du petit parc, cinq agents de sécurité maintiennent le système en état, mais le niveau de surveillance n’est pas adapté à ces nouvelles circonstances. Kalim a commandé des détecteurs de mouvement mais ils ne sont toujours pas arrivés, en plus actuellement la plupart des caméras sont en panne et il n’y a qu’un agent de sécurité le dimanche, et nous sommes dimanche. Soucieux, car fatigué de sa prestation, il se lève, et va en perte d’équilibre jusqu’à la terrasse dont il a laissé fermé la vitre à cause du vent et de la fraîcheur de la nuit.







Retirant ses lunette noire, il contemple vers l’est sur la droite, la plage de Cianna et ses vagues à l’écume blanche presque phosphorescente, une merveilleuse étendue de sable rose, et plus à l’est les vieilles baraques sur pilotis, habitées depuis dans la crasse et la misère, car les habitants, souvent des délinquants jettent leurs ordures dans la mer, polluant à mort une bonne partie de la rade. Si quelqu’un veut se plaindre, il n’a qu’à aller leur parler et recevoir la fameuse lame de la machette en travers de la gorge, Kalim le sait. Il n’en n’était pas ainsi il y a seulement quinze ans, mais ces individus venus du continent sans travail étaient à l’origine de ces problèmes de cohabitation. Epuisé, Kalim rejoint son lit et s’endort tout habillé. Il rêve qu’il interprète une symphonie qu’un critique juge massacrée. Ce cauchemar, réveille l’artiste.



Le sol de sa chambre tremble. Il allume la petite lampe à son chevet et sent une curieuse odeur de poudre. Il s’assoit sur son lit. La lumière tamisée le rassure. Pourtant, c’est à présent une forte odeur de fumée qui envahit la pièce, il pense à une attaque et réalise brusquement que l’éclairage de sa chambre peut le signaler comme s’il était une cible dans la nuit. Vite il l’éteint, se demandant si ce n’est pas trop tard. Tout son corps est en sueur. Une angoisse le saisit au creux du ventre. Il sursaute, car toute la pièce tremble comme s’il y avait une explosion. La fumée noire lui brûle les yeux. Dans l’obscurité de sa chambre, il s’avance apeuré vers le balcon. Le petit jardin est caché par la fumée. Une silhouette humaine, avec un bazooka sur l’épaule court vers l’entrée de l’habitation. Le garçon est apparemment tué par une explosion de grenade, son bazooka éclate en mille morceaux. Malheureusement, d’autres terroristes surgissent des buissons, l’un d’eux tient un fusil de chasse. Kalim affolé bondit vers un placard d’où il sort un revolver à barillet, maladroitement il le serre dans sa main. Il claque des dents, ou plutôt de son dentier. Il attend dans une angoisse immense, de voir la porte s’ouvrir pour laisser passer l’homme au fusil de chasse.




Il se cache derrière son énorme lit blanc et braque l’arme en direction de la porte. Comme dans un état second, il voit toute sa vie défiler dans sa tête et sous ses yeux. Tout petit son père l’a sorti de toutes les situations difficiles, il est vrai qu’être sourd est une difficulté importante dans la vie. Après, curieusement, il est devenu méchant avec ses parents. Il voulait en fait, être autonome et il ne savait pas le faire comprendre. Et puis il y avait ce talent incroyable, cette musique qu’il ressentait, ce qui a impressionné le monde entier. Ensuite il a perdu ses parents dans un accident de noyade stupide et a du se débrouiller tout seul à gérer sa carrière et sa vie. Il est devenu ce qu’il reste aujourd’hui, quelqu’un d’important, lui le sourd de naissance il est aujourd’hui un personnage envié, et là, voici la conclusion de ce combat qu’est la vie. Il aurait du partir la semaine dernière, ou alors aller habiter chez ses amis qui lui avaient proposé de partager quelque temps leur appartement blindé, dans le blockhaus de béton armé. Mais c’est trop tard. Il constate que maintenant, et après cette fumée, l’air semble s’éclaircir. Ce n’en est que plus inquiétant. Lassé, il pose le lourd pistolet sur le sol et soupire profondément. Soudain, la porte s’ouvre sous le choc d’un violent coup de pied. Kalim, dans sa frayeur, se cache sous le lit. Trois types hirsutes pénètrent dans la pièce, l’un d’eux tient droit devant lui, un fusil de chasse. Ils semblent ne pas voir Kalim.




La lumière est éteinte, l’obscurité grâce à la nuit sans lune est totale dans la vaste chambre, et ils n’ont rien pour s’éclairer. Deux des hommes partent en courant jusque dans la salle de bain, dont heureusement, et par un hasard extraordinaire, l’ampoule avait claqué le soir même. Kalim n’avait pas eu le courage de la changer, ni de faire venir Fidélio. L’homme au fusil s’approche du lit où il donne un violent coup de pied. Kalim est maintenant persuadé que personne n’a vu la lumière de tout à l’heure, et qu’ils croient que la chambre est vide. S’ils allument l’électricité, il est mort. Comme par télépathie, dès qu’il a eu cette pensée, la lumière du plafonnier le frappe de plein fouet sur la tête en lui brûlant les yeux. Il est attrapé par les épaules et retiré de dessous le lit. Alors qu’il s’y attend le moins il est jeté par terre d’un coup de chaîne. C’est alors qu’éclate la musique. Un grondement d’orage secoue la chambre soulignée par un magnifique accord de harpe. Alors qu’il s’apprêtait dans la seconde à donner un dernier et meurtrier coup de chaîne, le type s’arrête net au dessus de Kalim, comme s’il ne savait plus quoi faire. Les deux autres se figent également, comme enveloppés par la musique qui roule puissante et bruyante d’accords en accords vers une apothéose de trompettes et de cors. Kalim tenant son épaule blessé se redresse et utilisant tout le reste de force de ses pauvres jambes, se jette sur la baie vitrée où il appuie sur le bouton d’ouverture. Il traverse la terrasse et, sans hésiter, passe au dessus de la petite balustrade. La musique éclate, il le sent par cette vibration dans sa tête, et il ne comprend pas. Il saute de la terrasse, tombe dans le vide.







Sa chute est amortie par le gros buisson en dessous. Il lui semble, voyant l’écorce de l’arbre éclater, qu’une giclée de plomb passe tout près. Ils essayent de le tirer comme un lapin ! Il se redresse, et court jusqu’à l’épuisement. Il se cache dans un bosquet et perçoit encore la vibration musicale mais en plus faible, comme si elle venait de sa chambre au premier étage. Retrouvant un peu son souffle, il rejoint la haie et passe par le trou causé par l’arbuste mort. Certainement que les terroristes étaient aussi passés par là. Ces dernières semaines, il avait oublié de rappeler le jardinier pour faire enlever et remplacer l’arbre. Son oubli lui sauve à présent la vie, car le tronc brisé laisse juste la place pour que son corps s’y faufile. Heureusement qu’il avait fait aussi ce régime, pour perdre un peu de son ventre. Il traverse la route déserte, avec juste un peu de fumée. Plutôt que de descendre à pied par la route, et risquer les mauvaises rencontres, il préfère descendre par la pente de la colline jusque sur la plage de Cianna. Il se retourne vers la colline, et voit des flammes dévorer sa maison. Il reconnaît son chauffeur Fidélio, la bouche grande ouverte sur un affreux rictus de peur, courir sur la route poursuivi par dix personnes armées de machettes scintillantes.



Un jeune homme plus rapide que les autres le rattrape et le couche par terre, pour le travailler à la machette. Kalim préfère ne en voir plus, il en a déjà vu assez. Il pense que Fidélio n’a pas eu le temps de trop souffrir, et est mort dès les premiers coups de lame. Nostalgique et écoeuré il traverse une étendue d’arbustes rabougris. Déjà il est assez loin, pour échapper à la lueur de l’incendie. Marchant encore vingt bonnes minutes, soulagé il se perd à nouveau dans l’obscurité, et sait qu’on ne risque plus de le voir. Ne voyant plus rien, il trébuche, et dévale une pente à soixante degrés, roule plusieurs fois comme un tonneau, arrêté de ci et là par des arbres et des bosquets. Il se redresse le dos douloureux et le cœur battant à tout rompre. Ses vêtements sont déchirés. Heureusement qu’il s’était endormi tout habillé, car en pyjama, il se serait sérieusement blessé. Son épaule droite, abîmé par le coup de chaîne lui fait souffrir le martyre, mais il se force à continuer à descendre vers la côte. Une fois sur la plage, il pourra trouver de l’aide dans le bidonville, après tout les gens ne peuvent pas y être pire que ceux qui sont entrés dans sa chambre. Et il n’a pas le choix. Traversant l’interminable forêt, il constate que des éclairs zèbrent le ciel du côté du port, plus à l’est. Cela ne ressemble pas à de l’orage.



En fait Kalim ne peut pas savoir que les civils révoltés sont taillés en pièces par une armée régulière puissamment armée ; pendant que les indépendantistes massacrent les gens dans les quartiers riches de la montagne. Il commence à comprendre quand même, repensant à la mort de Fidélio, que la vie humaine, sur l’île de Musique, ne vaut plus rien, sauf le prix de la poudre, du plomb et du couteau. Fourbu, il s’assoit entre deux pierres ou caché, il se détend un peu. La plage n’est plus loin car il sent l’odeur de l’iode et du poisson. Il se rappelle alors de ce raccourci entre la falaise où il rejoignait la plage quand il était petit. S’il le retrouve il n’en a plus que  pour deux heures de marche environ. Il retrouve la route qui traverse plus bas, et la traverse rapidement. Au passage, il voit une moto renversée sur le côté, un jeune homme est étendu le cou tranché, sa tête a disparu et la route est luisante de sang. Au loin il repère sur la lumière des explosions, la fameuse falaise et retrouve un peu d’espoir, en reprenant sa marche vers la plage. À peine à t-il fait cent mètres que deux énormes camions blindés de l’armée sortent de la forêt pour remonter sur la route. Maladroits dans leurs manœuvres ils glissent sur le bas côté et se percutent entre eux. Avec toutes les difficultés du monde, les pilotes paniqués des deux véhicules parviennent à reprendre le contrôle de leurs véhicules sous les insultes de leurs chefs exaspérés. Kalim est déjà loin, retrouvant l’obscurité et la sécurité. Pour l’instant. Il sait qu’une fois sorti de la forêt c’est très certainement, la mort qu’il trouvera. A moins d’un miracle, oui comme dans sa chambre. Qu’est ce qui s’était passé ? Il avait bien eu la sensation de percevoir de la musique, mais ce n’était pas possible et alors qu’est ce que c’était ? Et qu’est ce qui avait arrêté ses bourreaux ? Et qu’est ce qui pourra bien encore le sauver de la lame aiguisée du coutelas ?

 

  

 

*

  

            Il retrouve un par un, ses anciens repère et se rappelle de ses randonnées de jeunesse. Il ne tient presque plus debout et avance comme un zombi, lorsqu’il se prend le pied dans un grillage découpé. C’est la vieille grille qui autrefois délimitait la frontière entre les quartiers riches des hauteurs, et les pauvres de la côte. Kalim dont l’œil s’est habitué à l’obscurité distingue au sol une énorme quantité de corps humains découpés à la va vite. A cinq cent mètres, sur la nationale, un énorme feu est allumé.

 

            -On vous dérange senior ?

Sentant une présence, Kalim se retourne vivement, au prix d’un mauvais tour de rein. Et voit, faiblement éclairé par l’incendie une centaine d’homme en guenilles le coutelas à la main. Des pêcheurs. Ils prennent le pouvoir sur la côte, alors que l’armée se bat dans la montagne.

-Qui êtes vous senior ?

Malévitch Kalim, dans sa terreur essaye de reprendre son contrôle ; à ce grand tournant dans sa vie il réalise que s’ils le reconnaissent comme le chef d’orchestre, ils le tuent, comme un habitant des quartiers riches, alors, que s’ils le considèrent comme un simple pauvre sourd, peut-être qu’ils le laisseront en vie. Il agite ses bras pour leur faire comprendre, mais ils ont plutôt l’air de le considérer comme un fou. Le guérilléros qui lui avait posé les questions, sans doute lassé, lève son coutelas pour lui fracasser le crâne. La lame s’abat, elle glisse sur sa pommette et le coup raté ne fait que projeter le malheureux chef d’orchestre au sol.

-Je l’ai raté ! Mais tu vas mourir ! Tu ne ressembles pas aux gens d’ici, tu es un étranger ! Un riche !




Une explosion soulève un épais nuage de poussière cachant Kalim, qui s’enfuit de ses faibles jambes. Les guérilléros paniqués s’enfuient vers le reste de leur groupe vers le feu sur la route. Kalim a le souffle trop court et une douleur dans la poitrine, il se jette sur le sable et se couvre d’algues pour dissimuler son corps. Il y a cette odeur de fumée de plus en plus forte. Il n’en peut plus, il se demande si ce ne serait pas moins fatiguant de mourir une bonne fois pour toutes, plutôt  que cette torture. Il reste encore un temps très long caché, puis un bras vigoureux le soulève. Un jeune homme lève alors un fusil de chasse sur sa tête, désespéré, il reconnaît le jeune homme qui était entré dans sa chambre, et que ses prières étaient exaucées, la mort est arrivé enfin ! Il sourit au trou béant du canon. Mais un coup de pied sur le nez, l’assomme à moitié. Deux hommes le placent devant un gros rocher de calcaire. Kalim a demi assommé, comprend que l’on va le fusiller sans cérémonie ; en effet, les deux hommes s’éloignent d’un dizaine de mètres et braquent leurs fusils sur sa poitrine. Des centaines d’hommes sont visibles autour du feu sur la route, ils regardent amusés. C’est long, trop long, Kalim a le temps de penser et il imagine si la balle fait mal, ou non. Et puis après ? Est-ce que c’est le vide de la mort ? Alors ils me tuent oui ou non ?






Il ferme les yeux et entend, oui il entend, il entend la seule chose qu’il peut entendre, la musique ! Oui cette vibration qui part du sol, se transmet par les pieds jusqu’aux os de ses tempes ! Ouvrant les yeux il constate que les soldats ont les yeux ronds et l’air hagard, ils hésitent, jettent leurs armes par terre pour se boucher les oreilles. En effet, en vérité, pour ceux qui entendent, ce n’est plus un orchestre, mais cent orchestres qui jouent quelque merveilleuse symphonie engendrée par un compositeur fou. Kalim d’un bond disparaît derrière un rocher, une balle le manque de peu, mais il est sauvé de cette exécution de cauchemar. Les guérilléros courent dans tous les sens, sans savoir où se protéger. La musique règne, les cymbales sont frappées par un instrumentiste inspiré, les cors chantent comme les vents d’orage, les flûtes sont le chant d’oiseaux géants, ça roule : violons, tubas picolos, dans de formidables accords et kalim dont l’esprit et le corps est conscient du phénomène malgré sa surdité, ne perd pas une seconde pour bifurquer vivement et revenir sur ses pas vers le gros rocher où il a failli finir sa vie. Dans le coin, il n’y a plus personne, ou alors très loin, sur la route ceux qui voulaient être ses bourreaux continuent a courir, affolés par la musique. Kalim veut que cette musique les tue, et elle le fait. Ça explose pire qu’une bombe, les malheureux meurent les tympans explosés. Kalim reste en vie protégé par le fait qu’il perçoit la puissance des sons à sa manière. Une colonne de l’armée venue de la route le rejoint. Le chef reconnaît Kalim et l’invite à venir avec eux.

 



-Monsieur Malévitch Kalim ! Je suis le colonel Pompe Léon. Nous avons eu raison des terroristes dans la montagne mais ici.. ? Qui a eu raison de ces pêcheurs ? Mais tout ceci est bien malheureux nous avons essayé d’épargner le maximum de ces contestataires mais ils sont allés trop loin, oh ! Mais c’est leur chef ? Oh, c’est vrai, vous ne m’entendez pas !

Il fait signe de la tête en direction d’un mort par terre. Kalim reconnaît l’homme qui voulait lui fracasser la tête.

-Vous ne m’entendez pas monsieur Malévitch ! Je l’oubliais. C’était Nathan Juran, l’un de leurs chefs, et qui l’a tué et les autres ? Les pauvres gens ont tous une grimace horrible, comme s’ils avaient souffert le martyre. Mais, finalement c’était eux ou nous n’est ce pas ? Quel épouvantable malheur. Vous lisez sur les lèvres j’espère ? Venez monsieur Malévitch ! Vous avez eu de la chance de survivre.

La musique s’était arrêtée au moment où les camions arrivaient. Kalim l’avait su. Toujours à sa manière.

Lorsqu’il embarque dans le camion avec le colonel, il se sent vraiment honteux d’avoir utilisé la musique pour tuer. Mais comment une chose pareille a-t-elle été possible ? Ces pêcheurs n’étaient pas de mauvaises gens, quel malheur ! La musique les a exécuté comme ils voulaient l’exécuter. C’était leur destin. Il était leur destin, un destin qui attendait dans la villa confortable dans la montagne, qui dirigeait la musique pour les riches qui venaient et qui pouvaient payer leurs places de concert. Bien sûr il avait proposé des concerts gratuits dans sa carrière mais ça n’avait pas empêché les inégalités de salaires dans l’île et d’autres problèmes  politiques très graves. Le camion emmenant les hommes épuisés et dégoûtés, s’en va sur la route éclairée par les restes d’incendie, et disparaît rapidement dans l’épaisse végétation.

 

 *

 

 

 

  On raconte cette légende dans les îles Gilbert, plus précisément sur l’atoll de Tarawa au cœur de l’océan pacifique. Bien que blessés par la grande guerre de 1945, les merveilleuses plages blanches et les arbres aux allures extraordinaires envoûtent encore les habitants riches de ces récits inspirés des anciens drames, et de la magie environnante. Une magie que l’on demande, qui soulage, fait du bien et dont se sert le vent pour jouer avec les palmes et composer sa musique dans un paradis autrefois torturé.

 

Vous venez de lire : L'HOMME MUSIQUE, tiré d'un assemblage de courtes histoires 

 

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